La plus-value du BIM : les datas bien sûr !

Jan 29, 2019

Comment bien partager la donnée? Comment se mettre d’accord sur les formats ? Doivent-ils être ouverts ou fermés ?

Pierre MIT. Le BIM sans données et bien… il ne se passe rien ! C’est la prise de conscience que la data est importante, qui a fait qu’en France le BIM a bougé. Lorsque l’on a parlé de la représentation graphique, certains n’y ont pas trouvé d’intérêt. Quand on a expliqué que derrière chaque objet il y a des données, là on a commencé à intéresser les acteurs. La question qu’il faut se poser c’est : quelle vision on a de cette donnée, pour quels besoins ? Avant, on raisonnait par phases de conception, de construction, de gestion et de maintenance. Aujourd’hui, il faut mettre en place un continuum numérique pour éviter toutes césures dans la transmission des data gages de bon fonctionnement dans le temps. Alors toutes ces données, oui on va en avoir besoin… à des moments différents. C’est-à-dire que la même donnée peut être utilisée à un moment de phase de conception, et on utilisera peut-être cette même donnée en phase de conception et de maintenance. Et il y aura aussi des données qu’on utilisera à la déconstruction de l’ouvrage. Cela veut dire qu’on ne va pas mettre plusieurs fois cette même donnée dans des endroits différents ! Cela suppose donc qu’il faut réfléchir à l’organisation de la donnée mais aussi réfléchir aux outils qu’on va utiliser pour aller récupérer cette donnée. Donc les notions de cas d’usage, de vue métier et d’outils appropriés sont aussi importants que la qualité de la donnée.

 

Plusieurs personnes interviennent dans une maquette : celui qui la crée, celui qui la consulte, celui qui la modifie, celui qui la vérifie…  Comment bien organiser la donnée et définir les taches de chacun ? Que partager ?

PM. Si l’on veut faire du BIM, il faut se mettre dans la tête que l’on rentre dans une démarche qualité, et éviter le sempiternel « on verra après, on verra après ». Jouer la transparence c’est la 1ère pierre pour y parvenir ! Il faut commencer par écrire ce que l’on va faire, pour faire ensuite ce que l’on a écrit. Le BIM est devenu un sujet tarte à la crème : « si tu ne fais pas de BIM, tu es has been » ! Cela me rappelle il y a 15-20 ans quand on a enclenché des démarches environnementales : on a construit des salles de spectacles,  qui d’un point de vue environnementale étaient très bonnes… mais très mauvaises du point de vue acoustique ! Aujourd’hui le BIM ce n’est pas faire du BIM pour faire du BIM. Il faut raisonner en termes de besoins pour que le BIM colle aux usages. Certains maîtres d’ouvrage sont poussés par cette envie folle de faire de dire « je fais du BIM »… alors que derrière, ils n’ont pas défini ce qu’ils veulent vraiment en faire, ou  qu’ils demandent une véritable usine à gaz d’où finalement rien ne sortira

La 1ère marche pour que ça marche, c’est que le maître d’ouvrage définisse un cahier des charges BIM : vers quoi il veut tendre, qu’est-ce qu’il veut faire avec ce BIM ? Aujourd’hui il y a plein de professionnels qui utilisent le BIM sans qu’on leur ait demandé… ils sont prêts à condition qu’on leur passe une commande claire et nette ! Une fois cette demande rédigée, il faut que les intervenants – MOE et entreprises – se mobilisent pour pouvoir œuvrer ensemble. On est dans une période de transition : tout le monde n’est pas full BIM, certains sont vraiment débutants. Rédiger une convention permet justement de voir quels sont les rôles et missions de chacun, en fonction notamment de la maturité et des compétences des acteurs. Par exemple, ce qui m’intéresse sur un chantier c’est que le plombier fasse bien son travail pour qu’il y ait de l’eau lorsque je fais la vaisselle pendant que ma femme prend sa douche. Qu’il fasse du BIM n’est pas mon problème, mais s’il veut rentrer dans cet univers, qu’on puisse l’accompagner. Quand on rédige une convention BIM ce n’est pas « du copier-coller », c’est vraiment faire quelque chose qui correspond aux intervenants qui sont autour de la table en fonction des objectifs du MOA. Les intervenants sont là parce qu’ils ont une capacité, mais aussi une responsabilité : s’il y a un souci, ils sont couverts, qu’ils aient fait du BIM ou non, ils ont pris une décision, reste à savoir s’ils  sont assurés pour le faire. Aujourd’hui pour que le BIM se passe bien, il faut accompagner tout le monde. En cela les BIM managers ont évolué… avant j’appelais certains les « ayatollahs du BIM » car ils savaient tout faire et faisaient tout, il ne vous restait plus qu’à regarder !

 

En un mot, trop de données tue la donnée ?

PM. La donnée il n’y en a jamais trop ! Par contre, il faut qu’elle soit au bon endroit. Et puis il y a aussi les données qu’on peut partager et les données qu’on ne peut pas partager. En tant que président de buildingSMART France je défends l’openBIM, mais je n’ai rien contre le format natif. Il y a 2 niveaux d’échanges. Par exemple, quand on est au sein d’une entité où il n’y a pas de secret, lorsque l’on va échanger entre les uns et les autres et qu’on veut travailler dans un univers avec une file d’outils, le format propriétaire est adapté. Mais dès lors que l’on va dire « je veux échanger avec les autres » ou « qu’on a besoin d’échanger », là il faut un format ouvert qui va permettre de faire des allers-retours entre les tous acteurs mais aussi de conserver la donnée dans le temps ou de pouvoir la recupérer si on change d’outils. Pour cela il faut utiliser un format pour donner aux autres ce dont ils ont besoin, et avant réfléchir au « comment » on régule ces échanges et ses données.

 

Comment adapter les maquettes en fonction des phases ? Faut-il une maquette mère et plusieurs maquettes ou une maquette unique ?

PM. Il y a plein de discussions sur le sujet. Tout dépend de la taille des informations que l’on veut héberger, mais aussi du nombre d’intervenants, voire de l’infrastructure réseau disponible (la ruralité et l’accès au haut débit n’est-ce pas !). Aujourd’hui l’enjeu du BIM et de l’échange de l’information, c’est l’accès à l’Internet. Où est-ce que je la ma maquette (localisation mais aussi support) ? Un jour j’étais à Bercy et on me demande : « qu’est-ce qu’on peut faire pour la promotion du BIM ? » J’ai répondu : « si vous voulez promouvoir le BIM pour les TPE et vraiment faire du BIM avec une collaboration importante, cela ne pourra exister sans un projet d’aménagement du territoire concernant la couverture Internet partout en France ! Une maquette où il y a tout, si je veux la consulter sur mon téléphone ça va être un petit peu compliqué sans réseau ! ».

 

S’assurer que la donnée soit accessible tout au long de la conception, jusqu’à l’exploitation maintenance voire la déconstruction. Comment procéder ?

PM. La donnée elle est là, elle est présente. Mais cette donnée est-ce qu’elle est active ? Est-ce que je peux la consulter ? Est-ce que je peux la modifier ? Il faut aussi y penser. Souvent les données sont issues d’un moteur de calcul qui vous a donné un résultat. Si dans 10 -20 ans je veux les consulter et que je veux faire une modification, est-ce que le moteur de calcul sera toujours là ? J’ai commencé on avait les disquettes 5 pouces, aujourd’hui je ne peux plus les lire ! Tout ça pour dire qu’il faut aussi se poser la question du support et aussi stockage au moment où il faut stratifier la donnée. C’est une des questions brulantes du rapport « BIM et gestion du Patrimoine »  de 2014 pour lequel j’étais copilote avec Franck Hovorka.

 

Concernant les composants et les produits, quelles données les fabricants doivent-ils fournir ? Des données techniques et graphiques ?

PM. Ce sont les attentes opérationnelles des industriels : « on a plein d’informations, comment est-ce qu’on les structure pour pouvoir vous les donner ? » Aujourd’hui on voit fleurir pleins de star-up qui réalisent des objets pour les industriels, mais quand on regarde de plus près ce pose le problème de la cohérence entre ces objets. La partie graphique : qu’est-ce qu’on définit au niveau des LOD en fonction des différentes phases ? Parce que sinon on va faire des maquettes avec un patchwork d’objets qui ont des niveaux de définition différents. Est-ce que j’ai besoin du même niveau d’information quand je suis en phase esquisse ou quand je fais un diagnostic déchet d’un bâtiment à déconstruire ? Aujourd’hui c’est ainsi qu’on voit apparaître le niveau de définition du besoin, LOIN. Donc tout ça si ce n’est pas écrit, si ce n’est pas organisé : ça ne marche pas.

 

Et côté normalisation comment ça se passe à l’international ?

PM. LLe BIM n’est pas parisien, il n’est pas français, il n’est pas européen mais mondial : il faut bien se le mettre dans le crâne ! C’est-à-dire que tout le monde discute autour de la table même avec des problématiques différentes, mais avec le même état d’esprit  : utiliser des outils et des process qui permettent de mieux échanger, de mieux communiquer. Des professionnels experts se réunissent au sein d’instances telle que buildingSMART International; quand un consensus technique émerge, qu’une question est mure, ils sont portés dans l’ISO voire CEN ou l’Afnor. Sur ce sujet de la normalisation, la France est très présente parce qu’on essaie de porter haut et fort notre parole… et l’on est écouté ! Les propriétés produits : et bien la France a fait une norme expérimentale qui est montée au niveau de l’ISO et du CEN ! Ça veut dire que les Français ne sont pas du tout en retard. Il faut être présent pour éviter de nous faire imposer des choses par des acteurs très puissants. La chance en France c’est que nous avons des majors. Alors moi je suis tout petit, j’ai un cabinet d’économiste au fin fond de la France d’en bas, et j’apporte ma pierre à l’édifice aux côtés de ces grands acteurs qui oeuvre tout au long du cycle de vie de la construction dont les retours d’expériences permettent de faire avancer les choses. Nous sommes dans le concret et l’ouverture, pour faire en sorte de ne va pas se lancer dans des discussions qui vont durer 107 ans ! C’est grâce à cet engagement que la parole de la France est écoutée.

 

Propos reccuillis sur l’atelier  » Partage de la donnée à toutes les phases du bâtiment : comment assurer ce passage de relais nécessaire entre les acteurs et en tirer parti ? » de BIMside organisé par Le Moniteur avec les Cahiers techniques du bâtiment, le 8 nov. 2018; intervenants : JB.Valette (VINCI Construction), K.Mechri (Eiffage) et P.Mit (buildingSMART France-Mediaconstruct)

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